Pour accorder le statut de personnalité juridique à la Seine (à propos de la politique de l’eau dans les Hauts-de-Seine)

Intervention de Najib Benarafa lors de la séance plénière du conseil départemental du 16 décembre 2022.

“Les séquences géographiques de la Seine”, infographie tirée du rapport sur la politique de l’eau du département, présenté lors de la séance plénière du 16 décembre 2022 du conseil départemental.

M. le président, chers collègues,

J’ai lu avec beaucoup d’attention ce rapport sur la politique de l’eau, c’est un beau travail et j’y ai trouvé beaucoup de pédagogie, d’informations, d’écologie et même de poésie, le tout avec une véritable vision, à long terme et globale, sur l’assainissement, la captation et l’utilisation des eaux de pluie.

L’approche écosystémique de la Seine face à l’épreuve du changement climatique y est également prise en compte. Ce fleuve a offert depuis l’installation des premiers peuples gallo-romains des services gratuitement, d’abord pour rendre les plaines plus fertiles puis pour transporter des marchandises. Malheureusement le 19ème et le 20ème siècle avec le développement des industries, l’extension des communes, de leur démographie et l’artificialisation des sols, se sont accaparés ce bien commun en le polluant et en détruisant sa biodiversité et les services qu’elle rendait.

Aujourd’hui le département, avec de nombreux investissements, mais aussi les Altoséquanais qui payent le prix fort du mètre cube d’eau, tentent de réparer ce qui a été détruit, car la Seine a un effet résilient très fort sur les canicules et un potentiel très important en termes de bien-être pour ses habitants. Le très gros effort sur l’aménagement des berges de Seine rendus aux piétons et cyclistes, avec le succès de la promenade bleue, en est l’illustration. Trop longtemps les investissements se sont concentrés sur les voies routières, alors que 70% des déplacements des Français se font à pied. Et rien n’est plus agréable que de se promener en bordure de Seine, dans le calme, à l’ombre d’une végétation accueillante et foisonnante de biodiversité.

Mon intervention ne vise pas à critiquer ce rapport, mais à l’enrichir pour les prochaines années car il manque, à mon sens, 3 chapitres à cette compilation de Politique de l’Eau :

Tout d’abord les investissements dans l’assainissement sont toujours plus grands, à cause des crues dues au dérèglement climatique, à cause des résidus de médicaments jetés, des micro-plastiques, des pesticides, des pathogènes toujours plus durs à filtrer… mais il n’y a aucune information sur l’énergie utilisée pour effectuer ce travail ni sur l’empreinte carbone de ces réhabilitations et de ces activités.

Pourtant il est bien dit dans ce rapport que « si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, la  hausse  des  températures  moyennes  serait  proche  de  4,8°C d’ici la fin du siècle et que nous  serions  amenés  à  constater,  avant  même  la  fin  du  siècle,  une  baisse  de  la  recharge  des  nappes  phréatiques jusqu’à 50 %, une baisse du débit  moyen  des  rivières  de  10  à  40  % ». Une grande partie des aménagements de la politique de l’eau sont liés à la crise climatique, il convient donc d’identifier les points où le département pourrait se fixer des objectifs de maîtrise. Il existe de nombreuses méthodes de filtration économes en énergie toutes inspirée par le vivant. Les êtres vivants dépolluent l’eau depuis l’origine de la vie, il suffit de s’en inspirer.

Deuxième point, une récente étude de l’Ademe estime que la chaleur totale générée par l’activité des stations d’épuration en France, constitue l’équivalent d’un gisement potentiel de 1,3 TWh d’électricité. Et cela sans compter la récupération de chaleur sur les eaux usées. Les réseaux de canalisation qui transportent les « eaux grises » (usage domestique comme la douche ou le lavabo) sont en effet un réservoir de chaleur susceptible d’être réutilisée dans les bâtiments publics ou les immeubles de logements. Une solution d’autant plus intéressante que les technologies de captation de cette énergie, de l’échangeur thermique à la pompe à chaleur, sont peu coûteuses et relativement simples à mettre en œuvre.

Dernier point. L’an dernier le parlement Néo-zélandais a voté pour que le troisième cours d’eau traversant ce pays, le Te Awa Tupua bénéficie du statut de « personnalité juridique ». Pour la Nouvelle Zélande, désormais, ce fleuve est un être vivant “partant des montagnes jusqu’à la mer, y compris ses affluents et l’ensemble de ses éléments physiques”. L’Inde a suivi le pas et depuis l’an dernier trois fleuves, dont le Gange, viennent d’être dotés du statut de personnalité juridique, qui en font des entités vivantes en matière de droit. Notre département a lui aussi un lien particulier avec la Seine, 47 % des communes des Hauts-de-Seine sont en contact direct avec le fleuve, ce qui en fait le département le plus « connecté » à celui-ci.

Plus qu’une « épine dorsale » du département c’est la Seine qui donne son identité à notre territoire, et je crois qu’il y a un consensus là-dessus. Pourtant, aujourd’hui, le fleuve appartient aussi à Voies Navigables de France (VNF) et HAROPA PORT qui sont nos partenaires mais dont nous dépendons beaucoup et dont les intérêts peuvent diverger. Ils voudraient multiplier par 4 le trafic fluvial et j’ai bien peur qu’en les laissant faire nous retombions dans les travers du passé que nous essayons de réparer au prix fort.

Compte tenu du rapport intime que nous avons tous avec la Seine, et je n’exagère pas, c’est ce qui transparaît dans tout ce rapport. Le groupe Ecologistes & Socialistes souhaiterait que le Département demande à ce que la Seine accède au statut de « personnalité juridique », avec tous les droits attenants.

Vous aimerez aussi...

Pin It on Pinterest