L’agenda 2030 des Hauts-de-Seine et rapport sur la situation en matière de développement durable 2022-2023

Intervention de Najib Benarafa en séance publique du 9 février 2024.

Rapport sur la situation en matière de développement durable

Ce rapport de 150 pages, très dense en informations, mériterait un débat de fond de plusieurs heures pour à la fois honorer le travail qui a été fait par les services et votre capacité à faire entrer toutes les actions du département dans les objectifs de développement durable. C’est d’ailleurs le reproche que je ferais  : vous avez identifié 4 enjeux majeurs engageant la responsabilité du Département (1. le bien-être de ses habitants ; 2. la jeunesse ; 3. le climat et la biodiversité ; 4. l’attractivité de notre territoire) et vous y avez inséré toutes vos actions compatibles avec le développement durable.

On peut louer les efforts du département depuis 2 ans, car la situation commence à s’améliorer. Cependant, malgré le changement de cap, certains indicateurs restent faibles. 

Je rappelle qu’il y a, en réalité, 3 piliers dans le développement durable : Environnement, Social et Economie

Le pilier environnemental.

Le plus important est l’environnement. En effet, nous vivons dedans, et ce avec d’autres êtres vivants. L’enjeu majeur est de ne pas rendre cet environnement invivable. La priorité est donc d’éliminer toute pollution de l’air, de l’eau, des sols. Mais il faut aussi de lutter contre le réchauffement climatique et de faire revenir la biodiversité.

Est-ce que l’air est pollué ? Oui, ça s’améliore mais la pollution de l’air tue toujours autant d’habitants. Est-ce que l’eau de la seine est polluée ? Oui même si un gros effort est amorcé. Est-ce que les sols sont pollués ? oui mais on en parle peu. Est-ce que le réchauffement climatique a cessé. Non et il s’accélère dans notre département  : +2°C contre +1,1C au niveau mondial. Est-ce que la biodiversité s’améliore ? Cela dépendra de tous les précédents indicateurs. Or, le département, malgré la qualité de gestion de ses ENS, avec une telle urbanisation, ne laisse pas beaucoup de place à la création de nouveaux écosystèmes. 

Le pilier social.

Le Second pilier du développement durable est le Social. Le département y a de nombreuses obligations. Les enjeux prioritaires de cette composante sont l’éducation, la paix, la lutte contre la pauvreté, l’égalité et la justice sociale. Beaucoup d’indicateurs montrent un fort investissement du département depuis 2 ans. Mais certaines discriminations et inégalités persistent malheureusement. 

Le pilier économique.

Enfin dernier pilier du développement durable, l’économie. L’économie a été longtemps la grande priorité du département des Hauts-de-Seine détenue par la droite depuis… toujours. En en faisant une priorité, le département est devenu riche, mais aux détriments des deux autres piliers. Il convient maintenant de compenser et c’est ce qu’essaye de faire cette assemblée depuis 2021, il me semble. Si on voulait rééquilibrer les 3 piliers, il conviendrait de se détacher peu à peu d’une économie libérale. Celle-ci enrichit les plus riches aux dépens des travailleurs et des ressources de plus en plus affaiblies. L’enjeu serait de développer une vraie politique d’économie circulaire et locale s’inspirant du vivant avec une monnaie départementale.  

Changer de modèle économique est un défi auquel le département doit réfléchir et qui n’a rien de saugrenu. N’oubliez pas que les écologistes ont souvent eu raison avant tout le monde. 

Des paradoxes et des équations insolubles

Voilà pour ce que j’aurais aimé être un débat de fond. Je ne le dis pas pour critiquer car vous avez, on le voit dans ce rapport, le souci du bien-être de tous les altoséquanais. Mais vous faites la même erreur que ceux qui veulent poursuivre une agriculture intensive tout en respectant des normes environnementales toujours plus grandes. Vous allez vous retrouver face à des paradoxes et des équations insolubles. Il en est de même pour notre économie actuelle. Même en la verdissant, en lui ajoutant des normes de toutes sortes, vous finirez par être confronté à des contradictions insolubles qui vont vous conduire au renoncement, comme le gouvernement face aux agriculteurs. 

Pour illustrer mon propos je vais reprendre quelques points du rapport sur la situation en matière de développement durable :  

Le paragraphe sur la lutte contre les nuisances environnementales urbaines souligne que l’air est toujours pollué, ce qui réduit l’espérance de vie de ses habitants. Votre solution est de mieux partager les routes avec d’autres formes de mobilités. C’est une grande reconnaissance pour les cyclistes, notamment avec le plan vélo. Mais il faut aller plus vite et être plus incitatif, si on veut réduire les nuisances environnementales. Malgré le partage des voies, les voitures occupent toujours 80% de la largeur des routes  (que ce soit pour se garer ou pour rouler). Or ces voitures sont, soient vides, quand elles sont garées, soient occupées par une seule personne. C’est une anomalie.  

La logique voudrait que pour favoriser l’utilisation des transports en commun ceux-ci soient tendent vers la gratuité. Mais tout l’argent public que le Département dépense pour les trams ou inter-mobilités semble absorbé par la Région. Celle-ci, dirigée pourtant pas vos amis, a augmenté significativement le prix du pass Navigo. 

C’est ce genre de paradoxes auxquels notre économie doit mettre un terme.  

Restauration scolaire

Autre anomalie, vous voulez agir sur la pollution et le bien-être de tous, mais vous vous privez d’un levier d’action essentiel comme la restauration scolaire dont vous avez cédé la gestion à deux entreprises cotées en bourse, la Sodexo et Elior. Résultat, même en priorisant la qualité des aliments dans le cahier des charges, ce n’est pas une réussite.

Beaucoup d’associations de parents d’élèves montrent encore une insatisfaction sur la quantité, la qualité, la gestion du personnel. Et ce n’est pas une surprise. Leurs cuisiniers sont souvent des gestionnaires sur lesquels la pression est mise pour générer des bénéfices et non rendre un service ou pour leur capacité à donner du goût. Pour avoir une cuisine de qualité, il faut miser sur l’humain. Il existe de très bons cuisiniers, y compris à la Sodexo. C’est eux qu’il faut mettre dans le cahier des charges pas des pourcentages, ni des grammages inadaptés, que l’on peut contourner. Le département a fait le choix de la qualité, et y a investi beaucoup d’argent public, mais les enfants n’ont pas vu la différence.

La loi EGALIM est prise en compte par le délégataire mais le département n’a pas les moyens de vérifier si elle est réellement respectée. Le taux de produits bio dépasse à peine les 20% alors que l’agriculture biologique de saison est la seule qui garantit une production sans engrais azoté. Ce dernier est producteur de protoxyde d’azote 256 fois plus nocif que le CO2 comme gaz à effet de serre. L’agriculture biologique est également la seule qui garantit des aliments sans résidus de pesticides cancérigènes ou qui diminuent la fertilité et anéantissent la biodiversité  : en 40 ans, 80% de la masse des insectes volant a disparu et 60% des oiseaux des champs se sont éteints.

Agriculture et déchets alimentaires

On a beaucoup parlé des agriculteurs ces derniers jours. Nos collectivités doivent aider ceux qui respectent le sol et la biodiversité, en garantissant l’achat de leur production bio. Si on veut miser sur l’autonomie alimentaire de notre département, il faut commencer par la cantine des collèges et redevenir souverain dans ce qui est servi à nos enfants.  

De plus, dans la moitié de ces collèges, les déchets alimentaires sont collectés pour être méthanisés. Là aussi c’est une erreur stratégique. Les déchets ont de la valeur surtout à l’heure où on incite les citoyens à apprendre à composter. On doit laisser les collégiens composter leurs déchets, leur apprendre l’économie circulaire et rendre au sol ce qu’on lui a pris. 

Il faut 100 à 1000 ans pour former 1 cm de sol ! Bientôt il n’y aura plus assez de sol pour faire pousser la végétation ! D’ailleurs, dans ce rapport il n’y a rien sur la pollution des sols. On parle de nouveaux potagers dans certains collèges mais combien de collèges ont un sol tellement pollué que l’on a renoncé, en végétalisant, à y faire pousser des arbres fruitiers ? Le rapport de situation ne le dit pas. 

De même, on ne peut plus manger d’œufs provenant de poulaillers d’Ile-de-France à cause, entre autre, de la présence de dioxine. Ça ne choque personne mais on est en train de rendre notre environnement invivable pour notre autonomie alimentaire, et pour nos oiseaux. D’où vient cette pollution ? On ne sait pas vraiment mais très probablement des incinérateurs utilisés pour «  valoriser les déchets alimentaires  » et les transformer en énergie utilisable. Le développement durable est là pour nous montrer qu’on ne peut pas cloisonner nos actions. Peut-être que le département pourrait créer une nouvelle SEML pour aider toutes les collectivités à faciliter le compostage ce que ne fait visiblement plus le Syctom dont c’était la mission. 

Le développement durable dans les collèges

Puisque l’on parle des collèges, parlons éducation au développement durable. Le 92 est investi depuis de nombreuses années dans le programme éco-collège. Je connais bien ses équipes et je les félicite pour leur travail, alors que leur budget est minime.

Maintenant qu’il existe enfin dans chaque collège des éco-délégués et un référent développement durable, soyons ambitieux, profitons du réseau qu’ils ont tissé, pas à pas, pour établir un partenariat expérimental entre l’Education nationale et le Département. L’Education nationale dégagerait 2 h/semaine dans l’emploi du temps de ces référents et le département, lui, donnerait un budget pour mener à bien ou expérimenter des actions concrètes avec les éco-délégués élus dans chaque classe de chaque collège pour améliorer le cadre de vie et former la jeunesse à construire un monde plus sobre en développant une créativité de transition écologique. L’éducation est un enjeu majeur du développement durable qui demande une liberté pédagogique que ce genre d’expérimentation pourrait favoriser. 

La transition énergétique et la décarbonation

La seule question qui devrait nous frapper, c’est pourquoi se fixer seulement 2050 pour atteindre la neutralité carbone  et pas 2030 ? Vous faites un agenda 2030 alors au bout de cet agenda il devrait normalement y avoir l’objectif de la neutralité carbone  ! 

Le temps de résidence d’une molécule de CO2 dans l’atmosphère c’est 100 ans  ! Une scientifique du GIEC, lors de l’Assemblée générale du Futur, a annoncé que la possibilité pour les enfants nés en 2020 de vivre aussi longtemps que ceux nés dans les années 1980 est quasi-nulle dans un monde à 4°C en 2090. Je rappelle que l’année 2023 a été la plus chaude depuis 150 ans.

Si vous croyez vraiment à l’urgence climatique et à ce dérèglement qui nous fonce dessus comme une météorite dont la vitesse accélère, il faudrait mettre en œuvre tout ce qui est humainement possible pour changer de mode de consommation en créant des structures d’économie circulaire à l’échelle départementale ou interdépartementale, en faisant preuve d’une sobriété de bien être, en faisant de chaque déchet une ressource. Une politique de transport bas carbone et de végétalisation massive verticale et horizontale est notre meilleure alliée contre la pollution et pour absorber le carbone. 

Les programmes îlots verts dans les collèges, l’accompagnement par l’Ademe de la trajectoire d’adaptation au réchauffement climatique (TACCT), la SEML sur les énergies renouvelables, sont autant de stratégies audacieuses et courageuses que j’ai saluées et que je salue encore. On attend maintenant une SEML de la biodiversité et une SEML de l’économie circulaire. 

L’agenda 2030

Concernant l’Agenda 2030, tout d’abord je tiens à féliciter le service Études, Paysages, Patrimoine et Environnement et toutes les équipes qui ont travaillé sur ce rapport avec sincérité et professionnalisme. Ce rapport est une projection de ce que pourrait être le département en 2030, s’il respecte tous ces objectifs de développement durable. Il y un travail indéniable de fiction réaliste qui a été entrepris. Le rapport navigue parfois entre fiction d’anticipation et réalité – mais entre l’utopie et la concrétisation il n’y a qu’un pas, celui de la volonté politique.  

Le fait, que le département décide d’inscrire noir sur blanc ses missions pour atteindre les 17 objectifs des ODD à l’horizon 2030 comme aurait dû le faire chaque établissement public dès 2015, est une véritable avancée ! Cependant il y a des regrets et des contradictions que j’ai relevées : 

Premier regret : tous ces objectifs 2030 que vous avez énumérés ne sont ni chiffrés en coût, ni contraignants.

Ce n’est pas encore un vrai programme avec un calendrier. Le manque de contraintes dans cet agenda je le vois aussi dans la forme . En ce qui est du choix des verbes, par exemple pour la commande publique, je lis «  Obtenir  » que moins de 2% des dépenses budgétaires annuelles aient un impact défavorable, au sens du budget vert, sur les composantes du développement durable. Pourquoi «  obtenir  » et non pas «  garantir  »  ? 

Pareillement, je lis  «  Systématiser  la prise en compte de l’impact environnemental des achats à l’ensemble des marchés passés par le Département  », «  Systématiser la prise en compte de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre  ».  Le choix des mots «  systématiser la prise en compte  » est juridiquement prudent. Pourtant la commande publique apparaît comme le premier levier pour développer une économie vertueuse. Vous avez su le faire avec la réhabilitation du Stade Yves du Manoir, c’est cet exemple qu’il faut systémiser. 

Second regret : vous avez fait le choix dans certaines pages d’imaginer le quotidien des habitants en 2030.

Cela dû demander un véritable effort de scénarisation ! Mais on ne sait plus distinguer la fiction de la réalité future. 

Quand je lis qu’«  en 2030, le repas bas carbone est devenu la norme à la cantine  », je m’interroge. En début de mandat je vous ai suggéré une proposition raisonnable. Il s’agissait de proposer un jour par semaine sans viande ni poisson. Cela permettrait de diminuer l’empreinte carbone tout en formant les plus jeunes à développer une appétence pour des repas différents. Mais vous m’avez répondu que vous étiez pour la liberté de leur laisser le choix. Le haut conseil pour le climat vient de publier son rapport sur l’agriculture et l’alimentation des français. La moitié de l’empreinte carbone liée à l’agriculture et l’alimentation est le résultat de la consommation de viande. Servir des menus bas carbones c’est donc diminuer la part de viande servie. Se projeter en 2030, c’est aussi éduquer à atténuer son empreinte carbone et éviter un été à 50°C dans les Hauts-de-Seine.  

Autre réalité alternative, quand je lis dans les objectifs « Offrir à 100% des enfants, adolescents et jeunes adultes de moins de 21 ans admis à l’aide sociale à l’enfance un accompagnement dans un dispositif d’hébergement ». Qu’en sera-t-il des jeunes majeurs étrangers accueilli par l’ASE ? Allez-vous appliquer la récente loi Asile-Immigration et mettre à la rue des lycéens ou apprentis le jour de leurs 18 ans , sous prétexte qu’ils sont étrangers ? Ou bien respecter l’Agenda 2030  ? 

Concernant l’objectif de « Créer des lieux de calme au sein des parcs départementaux, en définissant des zones et des horaires sans bruit » : allez-vous tenir tête à l’aéroport du Bourget dont les jets privés survolent sans vergogne notre département créant des nuisances sonores, de la pollution de l’air tout en émettant 10 fois plus des GES qu’un avion grande ligne lui-même 10 à 20 fois plus émetteur que le train ? 

Troisième regret : certains objectifs sont parfois en opposition avec le développement durable.

Par exemple «  Mettre à disposition des collèges des outils de dernière génération (ordinateurs portables, réalité virtuelle, équipements ergonomiques…)  ». Quand on connaît les dégâts causés par l’extraction des matériaux électroniques sur les ressources et l’environnement, ainsi que la surexposition des enfants aux écrans, on est devant une injonction contradictoire. La high-tech des casques dématérialisés n’est pas un objectif de développement durable. L’éducation à la low-tech, c’est-à-dire apprendre aux enfants la sobriété énergétique, leur apprendre à développer des technologies accessibles ou à faire durer le matériel informatique, aurait plus de sens. Pourtant le budget d’investissement dans les technologies du numérique est dix fois plus important que pour l’environnement. 

Parfois, pour avancer, il faut accepter les paradoxes et reconnaître que la plupart des décisions vont dans le bon sens. Concernant la reconnexion à la nature, le programme est ambitieux et franchement intéressant. Il faut absolument cibler celles et ceux qui ne peuvent pas fuir la chaleur estivale, à savoir les plus précaires. Les quartiers populaires doivent devenir la géographie prioritaire de l’adaptation au changement climatique : plus bétonnés, plus denses, moins bien isolés, ils sont aussi les plus éloignés des espaces verts.  

Perspectives d’avenir

L’objectif de rendre notre territoire attractif en accueillant de grands événements sportifs à forte exposition nationale et internationale, ou d’immenses festivals de musique, ne peut être durable que si ces derniers sont sobres. Malheureusement, tous ces événements sont souvent associés à une empreinte carbone et de pollution inacceptables aujourd’hui. Vous avez mis en avant la sobriété du festival chorus mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Démarquons-nous, pour attirer, non pas des spectacles de Monster Trucks, mais des manifestations sportives et culturelles exemplaires de sobriété pour nos jeunes spectateurs, futurs artistes en herbe, en cohérence avec cet agenda.   

Faire de notre département un spot majeur de tourisme durable grâce à ses parcs doit être effectivement un objectif. Pour être attractif, les Hauts-de-Seine doivent devenir un poumon vert pour les franciliens avec une Seine accessible et propre et de nombreuses zones de biodiversité préservée, sans pollution lumineuse. Il n’y a pas seulement 1,6 million d’habitants dans les Hauts-de-Seine comme je l’ai lu dans ce rapport. Nos oiseaux, nos insectes, nos arbres sont aussi des habitants de notre département. Certes ils ne votent pas mais ils comptent et nous devons apprendre à partager ce territoire.

Si nous parvenons à être assez attractifs pour que le département devienne un refuge pour toutes les autres espèces de la biodiversité, alors cela voudra dire qu’en terme de pollution de l’eau, de l’air, du sol, de pollution sonore et lumineuse, en terme de végétalisation et d’îlots de fraîcheur nous aurons atteint nos objectifs de l’agenda 2030. 

Pour retrouver la captation vidéo sur notre chaîne YouTube c’est ICI. Et pour le compte rendu complet de la séance, c’est ICI.

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