Crise énergétique, dématérialisation et accès aux droits, mineurs étrangers : questions au Préfet des Hauts-de-Seine (séance du 17 février 2023)
Dans l’attente de la publication écrite des réponses du Préfet, vous pouvez écouter les échanges sur le site du département, via la page Retransmission des séances (aller dans la séance du 17 février, l’intervention du Préfet débute à 01:37:32).
Question de Joaquim Timoteo sur l’accès aux droits et la dématérialisation des procédures
Mr le Préfet,
Je souhaiterai vous interroger ce matin sur la question de la dématérialisation des services publics et notamment de certaines procédures et leurs effets sur l’accès aux droits de nos concitoyens.
Je relisais, il y peu de temps, le rapport que le Défenseur des droits a consacré à cette question (« Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? ») et je reste marqué par ce chiffre impressionnant qui pointe que près de 80% des réclamations adressées chaque année aux services du Défenseur des droits concernent des difficultés d’accès aux services publics.
Si des efforts ont été déployés en matière d’inclusion numérique par les pouvoirs publics, force est de constater que le nombre de personnes qui restent encore sur le bord du chemin est important, voire inchangé.
D’ailleurs, sur ce point, la formation des usagers au numérique ne saurait être la seule politique d’accès aux droits et au numérique, alors même que le maintien d’alternatives au tout dématérialisé reste souvent un impensé des pouvoirs publics.
Le fait est que certaines populations sont « structurellement pénalisées » par la dématérialisation des services publics, dématérialisation qui s’est imposée et s’est même accélérée depuis la pandémie,
Des populations qui se voient priver de l’accès à leurs droits : ce sont des seniors, des travailleurs étrangers, des personnes détenues, ou encore des jeunes bien plus en difficulté que la moyenne pour accomplir leurs démarches en ligne qui sont concernés….
Sur ce sujet, les interpellations et alertes des associations agissant dans notre département, dans le secteur de la solidarité sont nombreuses, pointant les conséquences désastreuses de cette évolution lorsque les demandes des bénéficiaires ne se font que par téléservice.
On pourrait citer les problèmes liés au dispositif de prise de rendez-vous en ligne mis en place qui crée également des différences de traitement entre les usagers qui y sont soumis dans la mesure où leurs chances d’obtenir un rendez-vous varient selon l’équipement informatique et le type d’accès à internet dont ils disposent.
On pourrait citer la saturation des plannings de rendez-vous pour déposer une demande de titre de séjour, etc…
Et je ne parle même pas des difficultés rencontrées au quotidien pour tout un chacun pour renouveler une simple pièce d’identité car là aussi, il y aurait aussi à redire (mais on s’éloigne ici un peu du problème de l’accès aux droits)
Or, comme souligne la Défenseure des Droits, « les usagers n’ont pas la liberté de recourir au service public, ils y sont contraints, soit par des textes, soit parce que leurs ressources et leur équilibre de vie dépendent des prestations du service public. Ils n’ont pas d’alternative, sauf le renoncement et le non-recours. »
Aussi Monsieur le Préfet,
Dans ce contexte général que je viens de rappeler où les grands principes du service public – égalité, continuité et adaptabilité – devraient plus que jamais s’imposer, pourriez-vous nous indiquer quelles dispositions ont été prises cette année, aussi bien en termes de guichets physiques que de plateformes dématérialisées, pour permettre un réel accès aux droits en matière notamment de délivrance de titres de séjours, de demande de droit d’asile ou encore de pièces d’identité ? Quels sont aujourd’hui les délais moyens pour répondre aux demandes selon leur type et les éventuels recours en cas de difficulté ?
NB : le rapport souligne le « renversement historique » du principe d’adaptabilité, « qui devient une qualité attendue de l’usager, plutôt qu’une exigence qui incombe au service ». La dématérialisation des services publics telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre permet un « transfert de charge » depuis les services publics vers les usager·es et leurs aidant·es : information et orientation dans les démarches, saisie des dossiers et suivi des demandes, mais aussi coût de l’équipement, de l’abonnement à internet, etc.
Question de Najib Benarafa à propos de la crise énergétique et climatique
M. le Préfet, Pour faire face à une potentielle crise énergétique le Gouvernement a adressé aux préfectures une circulaire en novembre dernier pour préparer nos territoires à des coupures d’électricité au cœur de l’hiver et éviter une panne généralisée ou black-out face à une demande énergétique trop grande. En cause, notamment, une production d’électricité nucléaire à la moitié de sa capacité, en raison de problèmes de malfaçons, de problèmes de corrosion, en raison d’un EPR à Flamanville qui a seulement 12 ans de retard et qui n’est toujours pas achevé, et en raison d’un manque d’investissements dans les énergies renouvelables pourtant bien meilleure marché et plus rapides à mettre en œuvre.
En début de mandat, le président de la République parodiait les écologistes en les traitant d’Amish qui veulent retourner à la bougie alors que nous appelions seulement à anticiper par une sobriété dans l’extraction de nouvelles ressources et à une sobriété des usages en général. La sobriété n’est pas un retour à la bougie mais un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter la demande d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en assurant le bien-être de tous les êtres humains dans les limites de la planète. On aime à désigner les écologistes comme des radicaux dans notre pays. Mais je vous assure qu’annoncer à la population de la 5ème puissance économique mondiale que l’on va devoir effectuer des coupures de courant en hiver, faute d’énergie disponible, est à la fois radical et extrêmement anxiogène.
La sobriété, et c’est le dernier rapport du GIEC qui le dit, est non seulement une parade pour éviter les coupures d’électricité annoncées mais c’est aussi un levier indispensable pour diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre.
Or nous sommes encore en retard dans nos objectifs de diminution d’empreinte carbone et dans nos mesures de sobriété énergétique. Nous allons vraisemblablement échapper aux coupures de courant liées au délestage cet hiver. Pas grâce aux mesures prises mais parce que grâce au réchauffement climatique, depuis 2012 il n’y a eu que 2 vagues de froid en 10 ans, contre 16 périodes de canicule. Cette situation de sur-demande énergétique va donc sans doute se représenter mais peut-être en été, quand tout le monde voudra climatiser.
J’imagine que vous avez pu étudier les zones du département les plus consommatrices et celles qui pourraient être éventuellement délestées. Le secret défense a été évoqué pour ne pas communiquer ces informations à la population. Mais si ces données ne sont pas rendues publiques il faut s’attendre, dans les prochaines années, à voir des particuliers ou même des entreprises, par crainte des coupures, charger tous leurs voitures électriques en même temps et créer un pic de consommation et donc créer eux-mêmes la crise dont ils voudraient se protéger.
Il y a pourtant une manière de prévenir ce genre d’éventualité, ce sont des incitations à la sobriété. En Pologne, par exemple le gouvernement a fait passer une loi qui permet d’obtenir des tarifs gelés sous réserve qu’ils ne dépassent pas une certaine consommation. Pourquoi attendre par exemple les conditions d’écowatt rouge, c’est-à-dire la pire situation de tension pour couper les écrans publicitaires lumineux alors qu’ils ne font pas partie des consommations essentielles ? D’après l’Ademe, la consommation d’un écran publicitaire de 2m² serait de 2000kWh/an soit l’équivalent de la consommation annuelle d’un ménage.
Si en France depuis septembre, les secteurs industriels, et ceux des particuliers ont diminué leur consommation d’énergie, souvent au prix de la santé des plus précaires et des ouvriers. Ne pas pouvoir se chauffer a un fort impact sanitaire. Ce n’est toujours pas le cas pour le secteur tertiaire : la plupart des bureaux et des espaces commerciaux continuent comme si de rien n’était. Je les vois le soir quand je repars à vélo de la Défense, tous les bureaux sont allumés. Le secteur tertiaire n’est pas inquiet car d’après les annonces, ce sont les écoles que l’on va fermer, les tramways que l’on va bloquer, les escalators et ascenseurs dans les gares que l’on va arrêter. Je pense aux enfants, aux enseignants aux personnes âgées aux handicapées et aux usagers des transports en commun en île de France qui non seulement vont encore servir de variable d’ajustement, alors qu’ils sont loin d’être les plus énergivores, et j’y vois encore une forme d’injustice. Mais ces coupures peuvent toucher aussi la communication : la plupart des antennes relais disposent de batteries qui ont seulement une autonomie d’une demi-heure. Imaginez les conséquences ! Ces coupures peuvent toucher aussi la gestion des eaux usées. Les stations d’épuration ne peuvent être vidangées sans pompe de relevage, et sans électricité, il risque d’y avoir des débordements avec des pollutions à la clé.
Les délestages comme les mesures de sobriété énergétique doivent se faire dans des conditions soutenables pour les habitants, mais aussi de justice écologique et sociale. M. Le Préfet, vous n’êtes pas responsable de la plupart des choix du gouvernement mais vous avez, en tant que serviteur de l’Etat, un pouvoir de discernement et décision qui peuvent faire la différence dans notre département.
Ma question pour le Groupe Écologistes & Socialistes est donc la suivante : quelles mesures prévoyez-vous concrètement pour contraindre le secteur tertiaire à plus de sobriété dans le département et éviter les coupures de courant ? Et en cas de coupures absolues quelles sont les zones du département qui seront touchées et quels secteurs d’activité ? Vos services ont-ils mesuré ces derniers mois nos capacités d’adaptation à des coupures de courant ?
Question de Dominique Trichet-Allaire sur les jeunes migrants isolés
Plusieurs associations d’aide sociale se sont vivement inquiétées, dans une lettre adressée au Conseil Départemental le 20 novembre dernier, de la situation des mineurs isolés, afin d’éviter qu’ils dorment dans des chambres d’hôtel, laissés à eux-mêmes, ou qu’ils retournent à la rue.
Nous vous avions déjà interpelé l’an dernier sur la situation de 19 migrants isolés, devenus majeurs en 2021. Certains avaient déposé un recours gracieux contre les OQTF que vous aviez prononcées contre eux, alors qu’ils avaient pu obtenir un contrat de travail. Force est de constater la récurrence de ce type de situation en 2022, avec notamment l’utilisation – pourtant critiquée par de nombreuses associations – de tests osseux supposément “scientifiques”, pour déterminer l’âge de ces jeunes personnes.
Notre question à Monsieur le Préfet est donc la suivante : que fait l’Etat pour les mineurs étrangers sur le territoire, qui survivent actuellement dans un « no man’s land » juridique et social – et sous la menace d’OQTF dès qu’ils sont considérés comme “jeunes majeurs” – alors même que leurs éléments d’état civil ne sont pas formellement établis ? Pouvez-vous notamment assurer que les jeunes concernés qui bénéficient d’une formation professionnelle, ne seront pas ciblés par des OQTF ?
Retrouvez les questions du groupe au préfet de l’année 2022 ICI.